Asile : Une victoire derrière un échec - l’histoire de Monsieur S

Je suis Assa DIARRA, avocate en droit d’asile à Nancy.

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un dossier dans lequel mon client, Monsieur S, n’a pas obtenu gain de cause. Malgré nos efforts, des heures et des heures de travail, une lutte acharnée. 

Et pourtant, il a gagné. Et ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Je vous explique.

***

Un début d’après-midi de novembre 2020, Monsieur S arrive dans mon bureau. Il est à fleur de peau, à vif. Le contact est méfiant et je comprends que prendre le temps, aller en douceur pour établir un lien de confiance sera nécessaire.

Sauf que le temps est compté.

 

Ø  Ecouter avant d’agir

Monsieur S est demandeur d’asile.

Il a reçu une décision de refus de l’OFPRA et il dispose d’un mois pour contester l’appréciation de l’Office devant la CNDA. C’est court.  

Son dossier est volumineux, complexe et comprend 109 pages. Autant vous dire que la tâche s’avère difficile. 

Je décide de ne pas prolonger ce premier rendez-vous et de me concentrer sur l’établissement d’un lien de confiance. Me présenter à Monsieur S. Respecter les limites de sa parole. Lui expliquer mon rôle et le cœur de la procédure. On s’en tient à là.

Je le revois une nouvelle fois pour travailler sur son récit. Un rendez-vous éprouvant mais nécessaire. Monsieur S a été enrôlé comme enfant soldat alors qu’il n’était qu’un adolescent.

La confiance se noue au fur et à mesure et on avance.

Des centaines de pages d’écritures. Une argumentation en face de l’OFPRA qui souhaite exclure Monsieur S du bénéfice de l’asile. Une claque.

Nous travaillons d’arrache-pied. Durant ces mois, je suis régulièrement en contact avec Monsieur S. Il verbalise progressivement et se prépare à l’audience CNDA.

 

Ø  Le choc du rejet

L’audience est lourde, pesante et même émaillé d’un incident. Qu’importe, l’affaire est mise en délibéré.

Le couperet tombe quelques semaines plus tard. Rejet.

Rejet.

J’appelle Monsieur S pour l’informer. Je lui dis combien je suis navrée de cette décision que je ne comprends pas. Il me dit « Merci. Merci de m’avoir bien défendu ». Je souris le cœur lourd.

Je pourrais vous dire que j’ai pris la décision avec philosophie. Mais ce serait vous mentir. Je suis énervée, en état de choc. L’enjeu était grand. Je m’inquiète pour Monsieur S. Certains diront que ce n’est pas une réaction professionnelle.  Quelle importance ? Je suis dans mon bureau et j’accuse le coup.

Je relis le dossier, les écritures, me repasse des scènes de l’audience. Rien n’y fait.

Et pourtant c’est dans cette incompréhension et colère que je puise la force et l’énergie de me battre plus fort.

 

Ø  La lutte continue

On sollicite le bureau d’aide juridictionnelle du Conseil d’Etat. En vain. Rejet.

Monsieur S reçoit une Obligation de Quitter le Territoire Français. Toujours plus.

On la conteste. Rejet.  

On prépare une demande de titre de séjour pendant l’année qui suit.

Vous vous dites sûrement que décidément c’est compliqué pour Monsieur S.

Et pourtant.

Pendant ces nombreux mois, années de procédure Monsieur S se tourne vers le sport. Il trouve un moyen d’aller mieux. De faire la paix avec son histoire. C’est ce qu’il me dit. Je l’encourage.

Il ne lâche rien. Malgré ses deux boulots, ses procédures, l’éducation de sa fille née sur le chemin de l’exil.

Un jour, il me dit « je vais réussir ma vie et vous verrez un jour vous allez me voir sur une affiche ». Je lui souris en retour.

Le talent de Monsieur S, son travail sans relâche et ses valeurs attirent l’attention. Il se construit un entourage et il est repéré par un coach.

Il s’entraine tous les jours. Une carrière sportive s’ouvre à lui.

Mais voilà toujours ses fichus papiers. Tout prend du temps. La demande de titre de séjour a été introduite mais pas de titre en vue. Il doit renoncer à des voyages. Qu’à cela ne tienne.

 

Ø  Une autre forme de victoire

Un jour de 2024, Monsieur S m’appelle et exulte : « Ça y est, j’ai mon titre de séjour ! Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. ».

On échange et il me fait comprendre que ce parcours lui aura au moins permis d’en être là aujourd’hui. Bien entendu, il aurait été préférable qu’il n’ait pas à passer par tout cela. Mais tel a été son chemin et il a trouvé une issue favorable. Heureusement. Beaucoup n’ont pas cette chance.  

Les larmes me montent aux yeux mais je privilégie le rire. Je le félicite joyeusement et lui promets de venir assister à un de ces combats.

Aujourd’hui Monsieur S est en situation régulière. Il est sportif de haut niveau même s’il n’en vit pas encore complètement et occupe un emploi à côté.

Il est aussi un papa attentionné et épanoui.

Monsieur S avait raison, je l’ai bien vu sur une affiche. Et ça, ça fait plaisir.

 

Ø  Parler des défaites

Parler de Monsieur S est indispensable. Pas uniquement pour vous partager une « success story » mais aussi et surtout pour parler d’un dossier perdu.

Pour vous parler d’une relation avocate/client forte qui a traversé les années. 

Pour vous dire qu’on ne peut pas tout et que parfois le succès est ailleurs. Il ne passe pas forcément par une décision de justice. Il passe parfois par la relation entretenue, par le parcours, par l’accompagnement, par ce que la personne est et devient, malgré tout.

Nous avocats avons souvent honte de dire que nous avons perdu un dossier. Cela nous renvoie à une idée d’incompétence, de mauvaise défense pour le client et d’impuissance.

Mais tout ne tourne pas autour de nous (ouf).

Outre le pincement à l’égo que cela occasionne (ça se répare très bien et très vite heureusement), une défaite dans un dossier est également une source d’apprentissage énorme.

J’ai, pour ma part, beaucoup plus appris professionnellement et humainement de mes défaites que de mes victoires. J’espère que d’autres partageront des histoires de dossiers perdus qui méritent sans aucun doute eux aussi un peu de lumière.

Alors, je lève mon verre, ou plutôt ma souris d’ordi, à toutes ces défaites qui nous font.

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